Homélie : Comment peut-il nous donner sa chair à manger ?
Discours sur le Pain de Vie (Jn 6, 56-59)

Cette homélie a été prononcée par le
Père Guy Lecourt, prêtre du diocèse de Versailles
« Comment peut-Il nous donner sa chair à manger ? ».
Il n’y a pas que les auditeurs de Jésus à être choqués par ces paroles. Comment les entendre ?
Prises au premier degré, les paroles de Jésus sont effectivement choquantes. Sans même évoquer l’anthropophagie, ou le vampirisme, l’expression boire le sang viole l’un des tabous alimentaires les plus solides de la loi juive, à savoir l’interdiction de s’approprier le sang d’un animal. Il est encore en vigueur aujourd’hui dans la « kashroute » qui règle la vie des juifs observants. En effet, le sang c’est la vie (Lv 17,11) et la vie appartient à Dieu. Mais le mot « chair » que Jésus utilise (sarx) ne désigne pas l’aspect matériel de la vie humaine opposé au principe spirituel. Au contraire, cette notion évoque la réalité de l’homme et son insertion dans la création : « Le Verbe s’est fait chair et il dressa sa tente parmi nous » Jn 1, 14.
De plus Jésus parle de « manger sa chair ». Là encore, Il utilise à plusieurs reprise le mot, non pas manger (fagon, phagôn) mais mâcher (trogon, trôgôn). Pourquoi ? Tout simplement parce qu’Il institue ce rite au cours d’un repas pascal où l’on mastiquait la chair de l’agneau pascal, comme pour s’en approprier la plus petite parcelle. Il invite donc bien ceux qui l’écoutent à comprendre ces paroles à la façon d’un rite fondateur d’une nouvelle relation à Lui-même.
Ce que Jésus donne, c’est son humanité, avec ses possibilités et ses limites. Et dans le même don, Il se donne, Lui Dieu. Ce qui veut dire que la foi seule perçoit la présence divine là où les yeux de chair voient un geste scandaleux. Le Christ nous demande de le recevoir ; de devenir ce que nous recevons : nous demeurons en Lui comme Il demeure en nous. Il est vraiment nourriture, c’est à dire ce que nous pouvons assimiler pleinement dans nos existences qui s’en trouvent fortifiées. Soutenus ainsi, transformés parce qu’habités par Lui, nous sommes relevés de nos fatigues, de nos inerties et du poids du péché. Nous pouvons alors être témoins d’une Alliance.
Prendre ce pain, c’est entrer dans cette dynamique du don de soi comme Lui-même l’a fait et devenir nourrissant pour mes proches.
Donne-moi faim de Toi, Seigneur ! Préserve-moi de la routine et de l’habitude, que ce pain ne devienne insipide, comme la manne dans le désert. Et lorsque je t’aurai reçu, ouvre mes yeux et mon cœur vers ceux qui sont tes frères et que tu mets sur mon chemin. Mes eucharisties deviendront passionnantes, car remplies de Toi et alors, je pourrai te représenter. Ta Parole m’éclairera pour moi et pour eux ; Ton Pain sera ma nourriture et celle de Ton Corps tout entier auquel Tu m’associes. « Il est vraiment grand ce mystère de la Foi ! » Nous t’en remercions et nous faisons Eucharistie avec Toi.
AMEN !