Homélie : Dix paroles pour marcher à la suite des saints
Les Béatitudes (Mt 5, 1-12)

Cette homélie a été prononcée par le
Père Guy Lecourt, prêtre du diocèse de Versailles
Connaissez-vous dans la Bible quelqu’un, suivi d’une foule, qui gravit une montagne et reçoit les “Dix Paroles” ? Vous l’avez tous deviné : Moïse, au Sinaï, sur le Mont Horeb. Eh bien l’évangéliste Matthieu, au début du ministère de Jésus, va nous le présenter comme le nouveau Moïse. Mais cette fois-ci, les Dix Paroles [que l’on appelle habituellement les “Dix Commandements”, à cause de leur tournure impérative] prennent la forme de dix propositions de chemin de bonheur. Voyons lesquelles.
Heureux les pauvres de cœur ! Littéralement : “Heureux les humiliés du souffle”. Les pauvres, ce sont les “dos courbés”, ceux qui ont été humiliés et qui n’ont rien… Cœur : “pneuma”, Esprit. Heureux ceux qui ont le souffle court, et donc qui ne se gonflent pas d’orgueil, qui ne sont pas remplis d’eux-mêmes : ils ont de la place pour Dieu et leurs frères ! Ou bien encore : heureux ceux que l'Esprit rend humbles. Cette béatitude commande toutes les autres : elle est au présent, alors que la plupart des autres sont au futur : “ Le Royaume des cieux est à eux ”. Le Royaume des cieux, c’est l’espace divin : ils sont donc dans cet espace-là et Dieu leur est présent de façon invisible encore, mais bien réelle.
Heureux les doux ! “praèi”. Non pas les mous, mais ceux qui ne cherchent pas à s’affirmer eux-mêmes et ne recherchent pas, encore moins, leur seul intérêt propre, mais font attention à Dieu et aux autres ; savent renoncer à leur droit, leur priorité ; cherchent à "arrondir les angles", tant l’existence quotidienne peut être faite de contrariétés diverses. Ils ne sont pas stressés : ils obtiendront la Terre Promise, lieu du repos éternel.
Heureux ceux qui pleurent ! Littéralement : “ … Ceux qui sont en deuil ”. Car ils vivent un manque profond, et ce manque les rende aptes à chercher et accueillir ce qui les comblera définitivement : “ Ils seront consolés. ” Littéralement : Ils auront la Consolation “Paraclèthèsountaï”. Vous reconnaissez le mot Paraclet qui désigne en Israël à la fois le Messie (“ Le vieillard Siméon [qui venait tous les jours prier au Temple] attendait la Consolation d’Israël ” Luc 2, 25) et chez les chrétiens, l’Esprit-Saint Lui-même, le Paraclet (Jn 14, 16.26). Il ne s’agit pas d’une promesse du genre : “ Pleure pas, ça va passer ; après la pluie, le beau temps ” mais d’une véritable promesse théologale, divine, où Dieu s’engage bien au-delà de ce que nous aurions pu attendre et qui va combler notre manque en profondeur.
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice ! Il ne s’agit pas tant de la justice au sens habituel du mot, (qui est régie par des lois pas toujours justes ou mal adaptées) mais d’être “ajusté à Dieu” ; ceux qui cherchent à comprendre et faire sa volonté, comme Jésus nous a invités à le demander dans le Notre Père.
Heureux les miséricordieux ! “Eléèmonès” qui a donné en français : aumône ; aumônier des hôpitaux, des galères… bref les miséricordieux sont ceux qui, comme Dieu, compatissent à la détresse humaine. En latin, c’est beau aussi : misericors : “être de cœur avec la misère des autres”.
Heureux les cœurs purs ! Littéralement : “Purs [catharoï] de cœur” qui ne sont pas doubles ; qui n’ont qu’un seul comportement avec Dieu comme avec les autres. Nets. “ Que votre parole soit oui, oui ! non, non ! Tout le reste vient du mauvais ” dira Jésus, dans le discours sur la montagne qui va suivre en Mt 5, 37.
Heureux les artisans de paix ! Ils seront appelés fils de Dieu. Lorsque Jésus envoie les disciples deux par deux, il leur demande de présenter à ceux à qui ils vont s’adresser la Paix : Shalom ! Salam ! dit-on encore aujourd’hui en Terre Sainte, là où elle fait actuellement cruellement défaut ; mais il s’agit encore d’une autre paix, celle que Jésus présente aux Apôtres au soir de la Résurrection : “ La Paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. ” Nous sommes mis au rang du Fils pour achever sa mission jusqu’à la fin des temps : en cela, nous sommes vraiment fils de Dieu. La encore, c’est théologal.
La dernière béatitude “ Heureux serez-vous si l’on vous insulte… ” et la finale : “ Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse… ” [ce qui, tout compte fait, donne bien Dix Paroles de Jésus] sont là pour parer à toute réaction naturelle face au scandale de ces Béatitudes : en effet, ne prennent-elles pas à contre pieds et à rebrousse poils les propositions de bonheur que le monde proclame sans cesse par toutes sortes de médias ? Eh bien Jésus, au début de sa prédication, veut nous éviter les fausses pistes du vrai bonheur.
Prendre conscience de nos manques ; savoir que nous ne pouvons être heureux tout seul ; que le Seigneur vient nous sauver, nous libérer de nos enfermements, péché d’origine, s’il en est un ! Alors, que ces béatitudes soient nos “Dix Paroles”, celles qui nous entraînent vers la vie et Celui qui est la Vie. Heureux, “Makarios” signifie aussi en grec, Bravo ! Félicitations ! Vous avez tout compris ! Et en hébreu : “Ashréi” En marche ! Tous ensemble, à la suite de tous les Saints, qui Lui ont fait confiance et ont reçu en héritage la Terre Promise.